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L A V I G E R I E . be

Jours de sable.
Otages et disparus dans le Sahel

Mauro Armanino
vendredi 23 novembre 2018 par Webmaster

Les anciens avaient tout compris. Les jours se mesurent avec le sable. Il n’y a rien de plus naturel et de plus approprié que de compter le temps avec le sable qui coule, comme dans un sablier, de haut en bas. Avec le temps, ils ont appris à utiliser l’eau qui, de façon plus précise, marquait les heures du jour et de la nuit. Le sable et l’eau sont similaires. Dans les deux éléments, la vie se cache et disparaît pendant un moment à la vue de la plupart des gens. Certains pour quelques mois, d’autres pour toujours. Le sable du Sahel est fait de jours qui glissent et desquels on a perdu la mémoire. Aucun calendrier n’a jamais su, jusqu’à présent, les compter.

Cela fait 500, les jours de sable pour 39 personnes, des filles pour la plus part, enlevée dans la région de Diffa, au sud-est du Niger, lui-même pétri de sable. Presque toutes avaient moins de 20 ans le jour de leur disparition, le 2 juillet de 2017. Plus d’un an sans aucune nouvelle réelle et dans tout ce temps, seulement le sable, comme toujours, a su garder et compter les heures et les mois d’absence de leur village natal Ngalewa. Pour l’ami missionnaire Pierluigi Maccalli cela fait juste 2 mois que le sable l’a gardé par habitude. Une fois de plus il n’y a que lui, le sable, qui reste pour témoigner du temps.

Au Sahel nous avons tous le même sable qui enterre submergés et sauvés. Il ne nous prive jamais de sa subtile et envahissante présence. Nous pourrions disparaitre d’un moment à l’autre, engloutis par la mer de sable qui n’arrête pas de compter. Depuis le 7 janvier 2016 une femme suisse a disparu à Tombouctou au Mali et le mois d’avril de 2015 ce fut un agent de sécurité d’origine roumaine à être enlevé au nord du Burkina Faso. L’année suivante ce fut le tour d’un médecin autrichien, enlevé avec sa femme ensuite libérée, dans le nord-est du Pays où il travaillait depuis plusieurs années. Et le sable continue de regarder.

Sœur Gloria, d’origine colombienne, a été enlevée au sud du Mali en février 2017. Encore au Mali Sophie, de nationalité française, a été enlevée à Gao, ville où elle vivait depuis l’an 2000. Au Niger c’est un humanitaire allemand, opérateur de l’ONG Help, pris en otage le 11 avril de cette année près de la frontière du Mali. En revanche c’est pendant le mois de septembre passé que 3 personnes, dont 2 étrangères, ont disparu au Burkina Faso. Les 2 travaillaient pour le compte d’une mine d’or. Le sable, lui, tient le compte des heures, des jours, des semaines et aussi des années. La vie est un mélange de sable.

Le vent et le sable conspirent pour passer le temps avec les vivants, les disparus et les citoyens du Sahel. Voilà pourquoi, au fond, les disparitions ne nous étonnent plus beaucoup. Les citoyens font également partie des disparus dans le Pays. Vivants, présents et disparus sont un même mélange de sable qui mesure et unit tout. Les années et les mois sont comme un seul jour et ne parlons pas des heures. Ici le temps se conjugue au présent et atteindre demain peut être considéré comme un succès. Le vent, complice du sable, fait en sorte de déstabiliser projets, histoires et paroles. Ces dernières aussi sont transpercées par le sable.

C’est lui qui nous séduit, nous abandonne et finalement nous sauve. Disparus depuis dans le sable, otages de la folie et des calculs, enlevés par la distraction et l’indifférence du système globalisé. Citoyens comme marchandise à jeter après les élections cofinancées par la Communauté Internationale. Ensevelis par le sable et le silence bien avant d’être enlevés et emmenés ailleurs dans le but d’intimider et de demander une rançon. Au Sahel, les premiers à disparaitre sont les citoyens ordinaires, les paysans et les enfants de la rue. Ces derniers accompagnent les aveugles pour demander l’aumône aux carrefours de la ville. Invisibles pour la plupart.

Le sable tout seul sans le vent ne pourrait rien faire. C’est lui qui emmène loin les otages, les disparus et les jours qu’il faut compter et qui ne passent jamais. Le sable les caresse et les trompe sans se préoccuper de gardes les promesses. Tous les citoyens du Sahel le savent par cœur. Il n’existe aucun vent qui ne porte son lot de vérité et de mensonge. Voilà pourquoi ils ont appris à ne faire confiance qu’au sable, même pour compter les jours.

  Mauro Armanino,
Niamey, novembre 2018

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