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L A V I G E R I E . be
Numéro spécial

Lignes de fracture N°12 Breuklijnen

Avril-mai 2008
jeudi 15 mai 2008 par J.V.

RWANDA : LES PROCES GACACA VUS A PARTIR DE LA TANZANIE

Notre confrère Jaak Broekx est revenu en Belgique vers la fin de 2007. Après avoir travaillé au Rwanda pendant 31 ans, il avait suivi les réfugiés rwandais dans les camps tanzaniens pour réfugiés rwandais et burundais. Il y resta 13 ans. Témoin extrêmement méticuleux, il a consigné dans ses cahiers des milliers de témoignages.

Au sujet des procès gacaca, il a lui-même sélectionné et ordonné un certain nombre d’exemples, où nous nous permettons de faire à notre tour un choix plus restreint.

La Tanzanie n’accepte plus de réfugiés rwandais sur son territoire depuis 2003, mais personne ne peut empêcher des gens qui essaient de sauver leur peau de passer la frontière clandestinement. C’est ainsi que le seul camp de Lukore vit passer 5.500 Rwandais entre 01/01/2004 et 30/04/2007. Durant le seul mois de janvier 2007, des membres de 152 familles y arrivèrent, parfois l’homme seul, parfois des familles entières. En Uganda, les réfugiés rwandais continuent à être accueillis jusqu’ aujourd’hui. Beaucoup parmi eux transitent d’ abord par les camps de la Tanzanie. Dans le Sud de l’ Uganda - près de la frontière avec le Rwanda et la Tanzanie - sont installés quatre camps de réfugiés de différents pays. Dans une partie récente du camp de Nyakivale - appelée Kibati – on dénombrait au début du mois de Juin 2007, 28.000 réfugiés rwandais. Tous les réfugiés dans ces camps reçoivent du gouvernement ougandais 1/2 ha à cultiver en dehors du camp (les réfugiés qui sont rentrés récemment au Rwanda en provenance de l’Uganda ont été chassés par les autorités parce qu’ils faisaient paître leurs vaches sans permission dans ces endroits réservés aux champs des réfugiés). Un grand nombre d’autres réfugiés se sont installés ailleurs parmi la population locale, sans avoir été inscrits comme réfugiés. En ce qui concerne le Burundi, en 2006, plus de 15.000 réfugiés s’y étaient réfugiés, bien que la chance d’y être reconnus comme réfugié soit quasi nulle. Ils s’installent parmi la population et espèrent…

La raison principale pour laquelle ces réfugiés quittent leur pays ces dernières années semble être les procès gacaca. Notons que le rapport officiel du Service National des Procès Gacaca, paru le 29/05/2007 signalait que 818.564 personnes étaient soupçonnées d’avoir participé au génocide de 1994, dont 12.000 à peine avaient déjà été jugés… Fin 2007, plus de 800.000 personnes avaient été jugées par le gacaca, mais le nombre de suspects atteignait un million, c’est-à-dire un dixième de la population, bébés inclus. La moitié des familles rwandaises était ainsi touchée.

Le père Broekx signale encore que depuis son départ de la Tanzanie, les départs en exil augmentent continuellement : jamais, depuis 2000, tant de personnes se sont enfuies du Rwanda qu’actuellement (c.à.d. entre janvier et mai 2008). Beaucoup transitent d’abord par le Burundi.


QUELLES SONT LES RAISONS PRINCIPALES QUI POUSSENT DES RWANDAIS Ă CONTINUER Ă S’ENFUIR DE LEUR PAYS ? [1]

1. Les lourdes amendes imposées aux procès gacaca aux veuves des prisonniers décédés en prison et aux prisonniers libérés

 [2]

  • M.A. [3] est originaire de la commune de Nyakizu dans la préfecture de Butare. Son mari est mort en prison en octobre 2005. Au gacaca la femme fut condamnée à payer 1,5 millions de FRW [4], parce que son mari avait été accusé d’avoir tué 9 vaches du temps du génocide. Comme elle était incapable de payer, elle s’est enfuie en février 2006 avec ses 7 enfants.
  • M.U. est originaire de la commune de Kigarama dans la préfecture de Kibungo. Son mari est mort en janvier 2006. Il avait été condamné à payer 700.000 FRW pour avoir tué des vaches d’autrui. Comme on voulait mettre sa femme en prison puisqu’elle ne pouvait pas payer cette amende, elle s’est enfuie avec ses 4 enfants.
  • N.C. est originaire de la commune de Kabarondo dans la préfecture de Kibungo. Elle ne sait pas si son mari est mort ou s’il s’est échappé de prison. Elle fut condamnée à payer 600.000 FRW pour des vaches que son mari aurait tuées. Elle fut emprisonnée et paya 450.000 FRW. Elle fut alors relâchée mais puisqu’elle ne pouvait pas payer le reste, elle s’est enfuie pour ne pas retourner en prison.
  • M.M. est originaire de la commune Nyakizu dans la préfecture de Butare. Toute la famille est rentrée au Rwanda en 1996, après avoir séjourné dans le camp de Benaco (Tanzanie). Le mari fut alors immédiatement arrêté, accusé d’avoir tué. Il est mort en prison en 2005. La femme fut alors condamnée par le gacaca à payer 900.000 FRW pour des vaches que son mari avait tuées. Comme elle ne pouvait pas payer, elle s’est enfuie le 8 août 2006, avec ses 2 enfants.
  • La famille M.D. est originaire de Nyamata dans le Bugesera. Ils sont rentrés du camp de Benaco en 1996. Le mari fut alors mis en prison pendant 8 ans et fut libéré en 2004. Poursuivi ensuite par le gacaca, il fut accusé d’avoir tué des vaches de plusieurs Tutsi. Son accusateur s’était déjà emparé de la maison de M.D.. Condamné à payer 3.500.000 FRW. et dans l’incapacité de payer, il s’est enfui avec sa femme et leurs 4 enfants au Burundi. Ils sont arrivés en Tanzanie le 30 septembre 2006.
  • N. et sa famille sont originaires de la commune Karambo dans la préfecture de Gikongoro. Ils étaient retournés au Rwanda en 1997 et le mari fut arrêté en 2004, accusé d’avoir fait disparaître des objets volés à des Tutsi. Il fut condamné à payer 950.000 FRW. Il paya 200.000 FRW, mais ne voyant pas comment payer le reste, il s’est enfui avec sa femme et 6 enfants le 1 novembre 2006.
  • R.Y. est originaire de la commune Muyira dans la préfecture de Butare. Quand ils retournèrent au Rwanda en 2001, le mari fut immédiatement mis en prison, où il resta jusqu’en 2006. Une fois libéré, il fut accusé au gacaca d’avoir volé des vaches et d’autres choses dans la maison d’un voisin tutsi. Le 14 novembre 2006 il fut condamné à payer 900.000 FRW. Le 12 décembre on lui fit savoir qu’il retournerait en prison s’il ne payait pas tout de suite. Il s’est enfui avec sa femme et deux enfants le 20 décembre 2006.

2. Menaces de mort.

  • N.E. et sa famille sont originaires de la commune de Kigembe dans la préfecture de Butare. Quand ils sont rentrés au Rwanda en 2002, ils ont trouvé leur maison occupée par un soldat, appelé R.B.. N.E. lui a intenté un procès afin de récupérer son bien. Il s’est présenté au tribunal le jour où la cour devait se prononcer, mais l’affaire fut ajournée. Là-dessus R.B. lui dit qu’il le tuerait, lui et sa famille, s’il ne quittait pas le Rwanda. N.E. s’enfuit en Tanzanie, avec sa femme et leurs deux enfants.
  • R.J-P. s’est enfui avec sa femme et leurs deux enfants le 15 décembre 2006. Ils sont originaires de la commune de Muganza dans la préfecture de Butare. Ils se sont enfuis à cause d’un soldat, nommé G.F., qui occupait leur maison. R.J-P. gagna son procès, mais le soldat fit savoir à de tierces personnes qu’il allait le tuer avec toute sa famille. Un jour il lui a même jeté une grenade mais sans le toucher. Là-dessus R.J-P. décida de s’enfuir.
  • Quand M.P. et sa famille, originaires de la commune Mubuga dans la préfecture de Gikongoro, sont rentrés chez eux en 2001, ils furent mal accueillis et le mari fut immédiatement mis en prison, parce son frère aurait été membre des Interahamwe. Trouvant sa maison occupé par un soldat, M.P. lui intenta un procès qu’il gagna. Le soldat refusa pourtant de quitter la maison, accusant M.P. d’avoir tué ses parents et menaçant de le tuer. Le 18 décembre 2006, M.P. gagne la Tanzanie avec sa femme et leurs trois enfants.
  • H.S. est originaire de la commune Muyaga dans la préfecture de Butare. Quand ils sont retournés chez eux en 2000, ils ont trouvé leur maison occupée par un Tutsi venu de l’extérieur. Ce dernier dit qu’il tuerait H.S. s’il continuait le procès pour récupérer sa maison. A trois reprises, il prépare un attentat contre H.S., mais des voisins l’avertissent à temps. Le 27 décembre 2006, il quitte le pays avec sa femme et leurs deux enfants.
  • H.M. et deux autres familles, 11 personnes en tout, se sont enfuis de leur commune de Ntambwe dans la préfecture de Gitarama, le 18 décembre 2006. Les trois maris avaient été enfermés en 2003, parce qu’ils étaient accusés d’avoir participé au génocide de 1994. Ils furent libérés le 10 décembre 2006. Quand ils arrivèrent sur la colline chez eux, ceux qui les avaient accusés et fait mettre en prison leur dirent qu’ils ne méritaient pas d’avoir été libérés et qu’ils les tueraient.
  • N.R. s’était enfui avec trois autres. Ils sont originaires de la commune de Birenga dans la préfecture de Kibungo. On avait accusé N.R. d’avoir volé le drapeau du pays. Il fut tellement frappé que son bras droit en resta fort endommagé. Ils disent avoir fui parce que les policiers continuaient à les persécuter. Pendant trois mois ils se sont cachés, pour finalement s’enfuir le 20 janvier 2007.
  • Un groupe de 20 personnes (5 familles) a fui la commune de Kivu dans la préfecture de Gikongoro, parce qu’un ami tutsi les avait avertis : des Tutsi feraient des réunions pendant la nuit pour préparer leur élimination, parce qu’ils avaient tué les leurs.

Choix parmi de centaines de familles, qui ont fui le Rwanda en 2006 et 2007 pour la même raison.

3. Accusation d’être membre des Interahamwe

  • S. et ses deux frères sont originaires de la commune de Rwamiko dans la préfecture de Gikongoro. Leurs parents ont été tués pendant "la guerre" en 1994. Ces trois jeunes frères s’étaient réfugiés au Congo. Ils sont revenus au Rwanda en 2002. Leur frère aîné est en prison depuis 2002. On leur reproche que leur père était un Interahamwe et qu’il a tué des Tutsi. Des accusateurs demandent qu’on les mette tous en prison. Il fuient le pays le 6 août 2006.
  • K.M. est originaire de la commune de Muko dans la préfecture de Gikongoro. 4 autres jeunes l’accompagnent. Ils ont passé 4 ans dans la prison centrale de Gikongoro accusés d’avoir été des Interahamwe en 1994, alors qu’ils étaient encore des gosses à ce moment-là. Ils ont pu s’échapper avec la complicité d’un policier. Ils n’avaient jamais été jugés. Ils se sont enfuis le 30 juillet 2006.
  • G. et M. sont deux jeunes gens de la commune de Rukira dans la préfecture de Kibungo. On les accusa d’être de connivence avec les ennemis du dehors. Ils expliquent qu’au Rwanda, quand on est jeune et hutu, on ne peut rien posséder de quelque valeur, par crainte d’être accusé de l’avoir reçu des Interahamwe. Ils ont préféré s’enfuir pour ne pas être tués. Ils ont quitté le Rwanda le 2 février 2007.

Beaucoup de familles sont accusées de compter un Interahamwe dans son sein ou d’avoir collaboré avec les Interahamwe. C’est une raison suffisante pour être mis en prison ou pour être considéré comme ennemi du pays. Toutes les familles qui étaient venues de la Tanzanie entre 1998 et 2002 ont été accusées d’être des Interahamwe. Pratiquement tous les hommes et tous les jeunes gens furent arrêtés à leur retour dans le pays.


4. Peur d’être empoisonné

  • M. Rose, originaire de la commune de Ntongwe dans la préfecture de Gitarama, s’est enfuie avec ses trois enfants. Ils étaient retournés au Rwanda en 2003 et son mari avait été empoissonné. Il était mort le 27 août 2006, après avoir bu de la bière empoisonnée. Là-dessus on lui avait fait comprendre que, puisque son mari avait tué pendant le génocide, elle aussi devait mourir. Alors le 30 septembre elle s’est enfuie.
  • K. est originaire de la commune de Kigarama dans la préfecture de Kibungo. Son grand frère Félix avait été empoisonné et était mort le 17 janvier 2007. K. lui aussi est accusé d’avoir collaboré avec les Interahamwe, alors que, d’après lui, ce n’est pas vrai. Craignant de subir le même sort que son frère, il s’est enfui, avec sa femme et leurs deux enfants, le 24 février 2007.
  • M. s’est enfuie avec 5 autres membres de sa famille. Ils sont originaires de la commune de Runyinya dans la préfecture de Butare. Son mari Maurice était en prison depuis 2005, accusé d’avoir tué pendant le génocide. Il fut libéré le 27 décembre 2006, après avoir été empoisonné ; il mourut trois jours plus tard. Les voisins continuèrent à comploter contre la famille, qui décida alors de s’enfuir.

Le père Broekx mentionne plusieurs autres cas. Il fait remarquer, en guise de commentaire, que les empoisonnements ont commencé vers la fin de l’année 2006, au moment où l’on libèra beaucoup de prisonniers pour les traduire devant les gacaca. Mais les voisins ne voulaient pas leur laisser une chance de survivre, voilà pourquoi ils les empoisonnaient soit juste avant leur libération, soit juste après. C’est un des motifs pour lesquels les gens continuent encore toujours à s’enfuir vers la Tanzanie.

5. Accusations ressenties comme injustes et accompagnées de pressions pour avouer

  • T. et sa famille sont originaires de la commune de Sake dans la préfecture de Kibungo. Il s’est enfui parce qu’au procès gacaca on avait amené de faux témoins et qu’on avait voulu lui faire avouer des crimes qu’il n’avait pas commis. Ils ont quitté la pays en août 2005 par Giteranyi au Burundi, mais parce qu’ils craignaient d’être refoulés de force, ils ont continué vers la Tanzanie.
  • K.J. est une veuve, qui est arrivée au camp avec sa fille, veuve elle aussi. La famille est originaire de la préfecture de Butare. Elles étaient retournées au Rwanda en 1996, avec leurs maris, qui furent arrêtés en avril 1997 et qui sont morts dans la prison de Butare en 2004. Ils avaient été accusés d’avoir tué des Tutsi pendant le génocide de 1994. L’aîné des petits-fils, qui avait 1 an en 1994, était devenu le chef de famille. Fin 2005 on lui demanda des comptes pour les méfaits accomplis par son père et son grand-père, décédés en 2004. Pour le sauver, les deux femmes décidèrent de s’enfuir avec lui au Burundi, ce qu’elles firent à Noël 2005, mais à cause de la disette elles rejoignirent la Tanzanie.
  • H. et M. sont deux jeunes gens originaires de la commune Nyakizu dans la préfecture de Butare. En 2004 ils furent arrêtés et accusés d’avoir caché les fusils de leur pères qui avaient été soldats dans l’armée du président Habyarimana. Ils nièrent les faits. Au mois de juin 2006 ils purent s’échapper du cachot, avec l’aide d’un policier auquel ils donnèrent 60.000 FRW.
  • N.N. s’est enfui avec sa femme et leurs trois enfants. Ils sont originaires de la commune de Kinyamakara dans la préfecture de Gikongoro. Après son retour d’exil en 2002, il avait été mis en prison. Il fut libéré le 21 avril 2006 afin de se présenter au gacaca. Il y fut accusé d’avoir tué et on le pressa d’avouer. Comme il nia, on le condamna à une amende de 900.000 FRW : c’était le 13/07/2006. S’il ne payait pas, on le remettrait en prison. Là-dessus il décida de s’enfuir.
  • R.T. est originaire de la commune de Ngenda dans le Bugesera. En 2000, il était revenu au Rwanda, avec sa femme et leurs 4 enfants. Il fut immédiatement mis en prison, accusé de génocide, jusqu’à la fin de 2006. Libéré, ses accusateurs recommencèrent à l’accuser devant le gacaca. Il s’y rendit deux fois, mais on refusa de le laisser parler ; on lui dit au contraire qu’on l’enfermerait à nouveau s’il n’avouait pas. Alors il décida de s’enfuir, avec sa femme et les enfants.

Beaucoup d’autres personnes, qui sont retournées au Rwanda entre 2000 et 2002, furent arrêtées dès leur arrivée et accusées d’avoir tué ou d’avoir collaboré avec les Interahamwe en 1994, alors qu’ elles se disent innocentes.


6. Menacés par les occupants de leur propriété

  • La famille K.P., originaire de la commune Kigarama dans la préfecture de Kibungo, était retournée au Rwanda en 2003. Ils trouvèrent que leur parcelle avait été donnée à quelqu’un d’autre et que la maison d’habitation était occupée par quelqu’un venu d’ailleurs. Ils allèrent déposer plainte au tribunal, mais le mari fut mis en prison et accusé d’avoir collaboré avec les Interahamwe en 1994 et donc d’avoir tué des Tutsi. Le 16/08/2006 il a pu s’échapper de la prison centrale de Kibungo et s’enfuir en Tanzanie.
  • Alors que le mari de B.S. venait de mourir, les autorités lui ont pris sa parcelle pour la donner à un Tutsi ; sa maison fut détruite par ce dernier. Son frère, qui l’avait aidée, fut mis en prison. Voyant que d’autres voisins fuyaient par peur, elle partit à son tour, avec ses 2 enfants. C’était le 7 septembre 2006.
  • M.F., avec sa femme et leurs 3 enfants, sont originaires de la commune de Sake dans la préfecture de Kibungo. Ils étaient retournés au Rwanda en 2002, et trouvèrent leur maison occupée par une famille tutsi, revenue de l’Uganda, et qui prétendait que la maison lui appartenait. Au procès, il fut accusé par cette même famille d’avoir collaboré avec les Interahamwe en 1994 (comment pouvait-elle le savoir ?). Au lieu d’attendre le verdict du juge, la famille tutsi l’accusa devant le gacaca d’être un tueur. En novembre 2006 ils décidèrent de s’enfuir.
  • R.V., originaire de la commune de Sake dans la préfecture de Gikongoro, était rentré au Rwanda en 2002, avec sa femme et leurs 3 enfants. Il fut immédiatement mis en prison. Leur maison était occupée par un Tutsi. Libéré en 2004, il fut à nouveau arrêté en 2005. Quand il fut à nouveau relâché le 1er janvier 2007, il s’enfuit du pays, car la personne qui occupait sa maison déclara qu’il continuerait à le faire mettre en prison.
  • La famille de N. et trois autres familles sont toutes originaires de la commune de Ngenda dans la région du Bugesera. Quand ces familles sont revenues au Rwanda en 2002, elles ont trouvé qu’un Tutsi venu de l’Uganda, du nom de B.O., faisait paître ses vaches dans leurs parcelles. D’où des tensions. En 2004 les maris furent arrêtés, accusés d’avoir collaboré avec les Interahamwe lors du génocide. Ils gagnèrent le procès et l’occupant tutsi quitta leurs terrains. Il se mit pourtant à répandre des mensonges et réussit à les faire arrêter de nouveau. Lors d’une corvée de sable, ils s’enfuirent, le policier qui les gardait étant allé boire un coup. Là-dessus la police vint arrêter les 4 femmes pour les mettre en prison si elles ne disaient pas où étaient leurs maris. Elles répondirent qu’ils étaient en prison. Se sentant menacées, elles décidèrent de s’enfuir et arrivèrent en Tanzanie le 12/01/2007.

7. Accusés de vouloir attaquer le pays plus tard

  • N.G. est originaire de la de commune de Birenga dans la préfecture de Kibungo. Il dit s’être enfui parce que chez eux on a commencé à poursuivre des hommes encore jeunes, les accusant de se préparer à attaquer le pays avec des ennemis de l’extérieur [5] , accusation qui, disent-ils, ne visent qu’à tuer des Hutu. Il est parti, avec sa femme et ses 2 enfants, en octobre 2006.
  • K.S. s’est enfui avec sa femme et leurs 2 enfants. Ils sont originaires de la commune de Nyamure dans la préfecture de Butare. Dans leur région, on a commencé à arrêter des hommes encore jeunes, les accusant d’être parmi ceux qui veulent attaquer le pays avec des ennemis de l’extérieur. Quand quelqu’un est emmené, il ne revient plus. Quand K.S. a vu cela, il s’enfuit. Il a 37 ans.
  • R.F., originaire de la commune de Kabarondo dans la préfecture de Kibungo, s’est enfui avec sa femme et ses 5 enfants. Il était revenu au Rwanda en 1996 et fut accusé d’avoir collaboré avec les Interahamwe et d’avoir tué des Tutsi. En 2006 on commença à l’accuser d’être parmi ceux qui ne veulent pas la paix et de participer à des réunions secrètes où l’on fait des plans pour attaquer le Rwanda. Or, il dit qu’il n’était même pas au courant de l’existence de telles réunions. Il s’est enfui en septembre 2006.
  • R.F. est originaire de Nyamabuye dans la préfecture de Gitarama. Quand il était retourné au Rwanda, il fut accusé d’avoir été un Interahamwe et arrêté. Il avait été libéré au moment où ceux qui s’étaient enfuis au Congo revenaient massivement au Rwanda. Deux ans plus tard on commença à dire que ceux qui avaient été des Interahamwe pourraient fort bien collaborer avec les ennemis de l’extérieur pour attaquer le pays et qu’il valait donc mieux les arrêter. Alors R.F. avait préféré s’enfuir, en prenant sa femme et ses 3 enfants avec lui, car en absence du mari, on arrêtait les épouses. Ils s’enfuirent en octobre 2006.
  • R. est originaire de la commune de Birenga dans la préfecture de Kibungo. Il dit qu’il s’était à nouveau enfui (avec sa femme et son enfant) parce qu’on l’accusa de cacher des rapports et des armes apportés de l’Uganda en vue d’une attaque contre le Rwanda. Des policiers étaient venus perquisitionner à deux reprises, mais n’avaient rien trouvé. Quand il fut appelé au gacaca, il avait préféré s’enfuir, car, dit-il, "au gacaca on vous accuse de n’importe quoi". Il arriva au camp en Tanzanie le 16/01/2007.

Le père Broekx conclut son document en disant : "Je vous ai donné quelques exemples de chaque catégorie (et le rédacteur de Lignes de fracture n’a retenu que quelques-uns des exemples cités), mais j’ai beaucoup d’autres cas, puisque j’ai enregistré plus de mille cas depuis 2004. Tous ces cas prouvent qu’il n’y a pas de justice au Rwanda et que n’importe quelle personne peut être accusée à n’importe quel moment de n’importe quoi".


En guise de conclusion…

Le père Broekx ne se prononce pas sur la culpabilité ou l’innocence des figures centrales citées dans les exemples (à quelques exceptions près, par exemple lorsque la figure centrale de l’exemple était encore un enfant en 1994). Son objectif est ailleurs.

Il se pose des questions sur l’extension abusive de la notion de responsabilité criminelle : peut-on rendre responsables la femme et les enfants pour les crimes commis par leur mari et père (ou qui leur furent attribués) ? Il met en évidence les abus des tribunaux populaires gacaca. La plupart des cas cités concernent des hommes ou des jeunes gens qui ont fait plusieurs mois ou années de prison (la plupart d’ailleurs sans que le moindre dossier soit composé à leur sujet) et qui, à leur "libération" sont "livrés" au gacaca, où, d’après de nombreux témoignages, non seulement du père Broekx mais également d’autres sources, les faux témoignages sont monnaie courante et la défense inexistante.

Une constatation indéniable ressort des témoignages recueillis par le père Broekx : un des objectifs des procès populaires gacaca – à part, bien sûr, de faire la clarté sur les crimes commis et de punir les coupables – était la réconciliation du peuple rwandais après la guerre provoquée par le FPR et l’horrible génocide de 1994. Les témoignages des réfugiés interviewés par le père Broekx et les témoignages qui nous viennent de personnes sur le terrain au Rwanda (qui savent bien ce qui se passe lors des gacaca et qui sentent très bien le climat de peur et de suspicion qui règne dans le pays) prouvent que les procès gacaca divisent au lieu de rassembler, sèment la haine au lieu de favoriser le pardon.

Cela n’empêche pas le Ministère des Affaires étrangères de la Belgique de dire, dans une réponse au père Broekx, que, bien qu’ils soient au courant de certaines dérives des tribunaux populaires, ils continuent à croire que le gacaca peut contribuer à long terme à la réconciliation entre Rwandais et à la réconciliation des Rwandais avec leur passé récent. Il faut, bien sûr, justifier les millions d’euros que la Belgique a investis pour rendre possible la création et le fonctionnement des procès gacaca, mais il est des limites à ne pas franchir, surtout si l’on se croit investi d’une compétence universelle en matière de violations des droits de l’homme.

En 1994, la communauté internationale, et la Belgique en particulier, ont manqué à leur devoir d’intervenir pour aider un pays "en danger de mort". Actuellement elles sont à nouveau témoins de violations graves des droits de l’homme mais elles regardent ailleurs.


Compilateur responsable : Jef Vleugels, rue Charles Degroux 118 – B-1040 Bruxelles

[1Nous gardons la terminologie administrative ancienne telle que les gens l’utilisaient encore quand ils racontaient leur histoire

[2Nous ne retenons chaque fois que quelques cas de la longue série d’exemples retenue par le père Broekx

[3L’identité exacte des personnes mentionnées est connue du père Broekx.

[4A ce moment-là un euro valait à peu près 800 FRW. 1,5 million = 1875 euros.

[5Plus précisément "avec Kanyarengwe" ; d’autres disaient "avec Kigeri".


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